L’acquisition mouvementée de Twitter par Elon Musk — Siècle Digital
Elon Musk s’est inscrit sur Twitter en 2009. À en croire son biographe, Walter Isaacson, l’expérience ne l’a pas convaincu et il a promptement laissé en jachère son compte. Il …
Elon Musk s’est inscrit sur Twitter en 2009. À en croire son biographe, Walter Isaacson, l’expérience ne l’a pas convaincu et il a promptement laissé en jachère son compte. Il n’y est retourné activement qu’à partir de 2011, lorsque l’un de ses amis lui a décrit le réseau social comme un moyen de communication sans filtre. 19 000 tweets plus tard, le milliardaire, en pleine réussite, a décidé de s’offrir la plateforme contre 44 milliards de dollars et après beaucoup d’atermoiements.
Elon Musk, un fan de la première heure
Sur Twitter, Elon Musk se sent bien. Il exprime cette affection à tous en 2017 en publiant simplement « I love Twitter ». Sur le même fil, un utilisateur lui suggère d’acheter la plateforme, ce à quoi Musk répond « Combien c’est ? ». Twitter encourage son côté troll, il lui offre un espace pour déverser impulsivement ses blagues parfois douteuses, certaines de ses idées ou pour sonder les autres utilisateurs, principalement ses fans.
Sa frénésie de publication l’amènera au-devant de gros ennuis. Les tweets d’Elon Musk commencent à avoir des conséquences sur le cours de Tesla. Chaque sortie inconsidérée provoque un affaissement des courbes. Le pire intervient en juillet 2018, Elon Musk propose de sortir Tesla de la cotation pour 420 dollars par actions, une référence au cannabis que l’on retrouvera au cours du rachat de Twitter. Ce tweet n’amuse pas du tout la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la bourse américaine. Inculpé, Elon Musk et Alex Spiro, son nouvel avocat, qui deviendra un fidèle, passe un marché avec la SEC : les publications du patron seront validées avant d’être publiées. Une règle qui n’a jamais vraiment été respectée.
Addict, Musk renouvellera ses allusions sur une possible acquisition de Twitter, notamment devant les employés du réseau social. En 2020, il est invité par Jack Dorsey à s’exprimer devant eux, en distanciel, pour l’un des raouts de l’entreprise. À cet instant les salariés rient lorsque le PDG demande à l’entrepreneur aux 80 millions d’abonnés s’il veut diriger Twitter.
De l’investisseur à l’acquéreur
L’affaire ne devient sérieuse qu’en janvier 2022. Les affaires du milliardaire tournent bien et il se retrouve avec d’importantes liquidités. À la recherche de nouveaux investissements, il a raconté son déclic à Walter Isaacson, « Je me suis demandé quels produits j’apprécie, et c’était une question facile. C’était Twitter ». Discrètement, un peu trop au goût de la SEC, il commence à racheter des actions de l’entreprise. L’opération est révélée via des documents officiels à la mi-mars. Avec 9,2 % de parts, Elon Musk est devenu le principal investisseur de la plateforme.
Des discussions s’engagent avec le conseil d’administration de la société, un dîner secret est organisé avec Parag Agrawal le 31 mars. Il a succédé à un Jack Dorsey gentiment poussé vers la sortie un an plus tôt. Début avril Elon Musk annonce qu’il rejoint le conseil d’administration, puis non… Ce dernier finira par soumettre un rachat global, à 54,20 dollars l’action, soit un total de 44 milliards. La décision déstabilise certains de ses proches, qui se demandent ce qu’il va faire dans cette galère. Twitter n’a eu que deux années de rentabilités dans son existence et comme d’autres réseaux sociaux est critiqué pour sa gestion de la désinformation, sa modération…
C’est justement l’une des motivations de Musk. Fervent défenseur du « free speech » à l’américaine, il estime que Twitter est devenu un repaire « woke ». Ses proches conservateurs, l’encouragent d’ailleurs dans cette voie. En mai Elon Musk annonce qu’il annulera le bannissement de Donald Trump, décidé après les émeutes du Capitole en janvier 2021. Plus que sa vision très personnelle de la liberté d’expression, il voit Twitter comme un moyen de faire renaître X.com. Il s’agit du nom de l’une de ses entreprises, diluée dans Paypal au début des années 2000 à son grand regret. Il souhaite créer une super-application à la WeChat et suit toujours cet objectif aujourd’hui. Aux investisseurs intéressés pour l’aider à rassembler les 44 milliards de dollars nécessaires, il promet de quintupler les bénéfices de l’entreprise d’ici 2028.
Le chaud et le froid
Cet objectif est affiché le 6 mai, le 13 il annonce suspendre l’opération, avant de se corriger. Elon Musk pointe ce qu’il estime être une irrégularité. Les dirigeants de Twitter affirment que 5 % des utilisateurs sont des bots, lui pense qu’ils sont beaucoup plus. En 2020, il avait déjà asséné aux employés de l’entreprise que sa première mesure serait de limiter le nombre de bots. L’argument refait surface. Au cours du mois de juin, l’équipe d’Elon Musk prépare trois scénarios, respecter le deal initial, réduire le prix de rachat ou tout annuler. En attendant, elle somme la direction du réseau social de lui fournir des données sur les bots.
Elon Musk officialise l’annulation le 8 juillet, ce qui lui vaut d’être immédiatement traîné devant la justice du Delaware par la direction de Twitter. L’objectif est de le contraindre à honorer ses engagements, ou à régler le milliard de dollars d’indemnité prévu en cas de retrait. Le dirigeant de Tesla se plaignant d’avoir été sciemment trompé sur le nombre d’utilisateurs réel et donc monétisable refuse. Dans ce bras de fer, il fera feu de tout bois pour parvenir à ses fins, notamment en s’appuyant sur les révélations d’un lanceur d’alerte, l’ancien chef de la sécurité informatique Peiter Zatko, sur les failles de la plateforme.
C’est encore une fois dans l’ombre que les discussions se poursuivent. Elon Musk commence par exiger une réduction de moitié du prix d’achat de Twitter. Une proposition ignorée par le conseil d’administration tant elle est exagérée. Il faut dire que la conjoncture économique commence à devenir inquiétante. Une récession est redoutée et les banques pourraient être moins généreuses sur les conditions du prêt de 12,5 milliards de dollars obtenus par Musk pour financer l’opération.
Elon Musk presse son équipe juridique de trouver un moyen de gagner un futur procès mal engagé. La juge Kathaleen McCormick de la Cour de chancellerie du Delaware fixe la date du 17 octobre pour la confrontation. Fin septembre, Alex Spiro convainc son client que ses chances de victoire sont très faibles. Deux semaines avant l’échéance Elon Musk confirme qu’il rend les armes. La juge accepte de repousser l’audience pour laisser aux deux parties le temps de conclure l’affaire.
Selon Walter Isaacson, au cours de cette période, Elon Musk manifestera un regain d’enthousiasme pour sa future entreprise. Il lui confiera, « je suis très excité de finalement implémenter X.com comme cela doit être fait, en utilisant Twitter comme accélérateur ». Le 26 octobre, le milliardaire cultivant son côté trollesque, se fait filmer arrivant au siège du réseau social avec un lavabo dans les mains, un jeu de mots anglophone avec « sink », évier, et « think », pensez. L’accord est signé le 27 octobre 2022, Elon Musk a depuis les mains libres pour façonner son WeChat aux contours encore flous.