Les restrictions à l’export américaines sur les puces, moteurs de l’innovation en Chine ? — Siècle Digital
Des voix, parmi les plus respectées de l’industrie des semi-conducteurs, commencent à s’élever sur l’inefficacité relative des restrictions américaines à l’export pour entraver les progrès technologiques de la Chine. La …
Des voix, parmi les plus respectées de l’industrie des semi-conducteurs, commencent à s’élever sur l’inefficacité relative des restrictions américaines à l’export pour entraver les progrès technologiques de la Chine. La capacité de Huawei à équiper son dernier smartphone, sorti fin août, d’une puce avancée alimente le débat.
La Chine poussée à mettre le paquet sur les puces
En refusant à la Chine l’accès aux semi-conducteurs et outils pour les fabriquer les plus perfectionnés, les États-Unis auraient peut-être commis une erreur de jugement. Si les progrès technologiques du pays peuvent s’en voir perturbés, il le contraint à explorer sa propre voie. C’est la musique qui commence à se faire entendre de la part d’acteurs de l’industrie.
Burn J. Lin en est l’une des stars. Côté CV, il est l’actuel doyen du collège de recherche sur les semi-conducteurs de l’Université nationale Tsing Hua, à Taïwan, c’est aussi l’ancien vice-président de la première fabrique de puces du monde, la Taïwan Semiconductor Manufacturing Corp (TSMC). Il est surtout l’un des précurseurs de la technologie de la lithographie, à la base des composants les plus modernes.
Dans un entretien relayé par Bloomberg, il a déclaré « il n’est tout simplement pas possible pour les États-Unis d’empêcher complètement la Chine d’améliorer sa technologie de puces ». La puce de 7nm de Huawei, fabriquée par la Semiconductor Manufacturing International Corporation (SMIC), l’illustre.
Il a confirmé qu’il était probable que l’entreprise ait adapté une machine du néerlandais ASML, acquise tout à fait licitement, n’étant pas de dernière génération et pas encore interdite à l’export (pour l’instant). Ces machines peuvent fabriquer des puces de 7nm et même de 5nm, bien qu’elles n’y soient pas destinées initialement. Elles sont moins efficaces que le modèle le plus moderne rendant le processus beaucoup plus coûteux.
C’est l’une des grandes peurs de l’industrie, que Pékin, placé au pied du mur, investisse massivement pour réaliser localement ce dont Washington les a privés. Malgré des difficultés, la Chine a déjà annoncé un financement d’environ 40 milliards de dollars pour développer des techniques, des machines de fabrication de puces.
C’est exactement la crainte soulevée par Yang Hyang-ja, parlementaire sud-coréenne influente, ancienne cadre de Samsung et ingénieure dans les semi-conducteurs. En août, elle assurait au Financial Times que « plus les États-Unis sanctionneront la Chine, plus la Chine s’efforcera de réaliser des progrès technologiques rapides. La Chine apportera davantage de soutien national à cet objectif ».
Même son de cloche du côté de Peter Wennink, PDG d’ASML. Lui avertissait en septembre, sur la télévision publique néerlandaise, « il y a 1,4 milliard de Chinois, dont beaucoup sont intelligents. Ils proposent des solutions auxquelles nous n’avons pas encore pensé. Vous les forcez à devenir très innovants ».
Un scénario encore lointain
Chacun défend ici ses propres intérêts. Pour Yang Hyang-ja, il s’agit de faire prévaloir son pays, la Corée du Sud, très liée économiquement à son grand voisin. Pour Peter Wennink, il s’agit de protéger le leadership et les marchés d’ASML.
Chacun met toutefois le doigt sur ce qu’il présente comme un paradoxe des mesures américaines : tant que des sociétés de puces occidentales fournissaient leurs clients chinois, l’impératif d’autonomisation de la Chine dans le secteur des puces était moins pressant. À noter cependant que Pékin mène une politique en ce sens depuis 2014, à travers son « Big Fund ».
Les souvenirs du solaire, des batteries et véhicules électriques ou récemment de l’éolien, sont présents dans les esprits. En quelques années, dans tous ses secteurs, les entreprises chinoises ont réussi à prendre des parts de marché de plus en plus importantes à leurs concurrents occidentaux. Ils ont été capables de produire pour moins chers à qualités quasi équivalentes, voire supérieures. Le monde des semi-conducteurs semble redouter un tel destin. Aujourd’hui, la Chine souffre surtout des sanctions. Si un tel scénario est possible à plus ou moins long terme, il reste pour l’heure, théorique.