Depuis son lancement à travers le globe, Prime Video expérimente tous les genres. La plateforme d’Amazon produit des œuvres de tous horizons, de l’action, des comédies romantiques et du fantastique, rien n’échappe à sa stratégie de conquête des salons du monde entier. Néanmoins, après avoir rencontré quelques succès, à la fois critiques et publics, l’entreprise américaine n’avait pas encore lorgné du côté de la fantasy. Il faut dire qu’en 2018, lorsque La Roue du Temps est annoncée, Game of Thrones règne sans partage sur le genre à la télévision. L’adaptation des romans de George R.R. Martin est un événement historique pour le petit écran, qui rassemble de nombreux adeptes, amateurs d’épopées du genre ou simplement des curieux happés par la machine narrative de cette exploration de Westeros.

Pourtant, sur le papier, Le Trône de Fer n’est pas le seul monument récent de cette littérature de l’imaginaire. Dans la droite lignée de Tolkien, La Roue du Temps cultive sa ressemblance avec la Terre du Milieu autant qu’elle essaie de s’y soustraire. Si la chaotique traduction française des ouvrages ne parviendra jamais à lui conférer la réputation dont elle bénéficie en dehors de nos frontières, The Wheel of Time de son titre original est considéré par beaucoup comme un monument de la fantasy moderne. Amazon entendait bien s’en emparer pour alourdir son catalogue d’une nouvelle production à grand spectacle. Cette tentative dans le genre était alors vue comme un premier essai, un orteil dans l’eau avant le saut dans le grand bain et Le Seigneur des Anneaux : Les Anneaux de Pouvoir. C’est donc en 2021 que le public peut poser les yeux sur cette relecture des aventures de Moiraine, Rand et leurs compagnons de voyage.

D’ailleurs, les prémices de l’intrigue ressemblent à s’y méprendre à ceux de la quête de Frodon pour la destruction de l’Anneau unique. Quatre jeunes gens sont invités par une sorcière à prendre part à une aventure dangereuse pour empêcher la résurgence d’un mal cataclysmique. L’un d’entre eux est le dragon réincarné, un messie qui peut sauver le monde ou le détruire. À la différence des livres dont elle s’inspire, la série avait fait le choix de garder l’identité de cet élu caché jusque dans les derniers instants de la première saison. Après un final riche en rebondissements, la narration avait redistribué les cartes pour mieux préparer la suite. Fait assez rare, la seconde saison était déjà actée avant même la diffusion des premiers épisodes. Preuve s’il en fallait une de la confiance accordée à cet univers, une troisième salve d’épisodes est déjà au programme des prochaines années. Mais près de deux ans après l’introduction dans ce monde, le voyage commence-t-il (déjà) à tourner en rond ? Nous avons vu les quatre premiers épisodes de cette nouvelle salve qui en compte huit.

Après la mise en marche

Cette nouvelle exploration du monde créé par Robert Jordan a un avantage certain sur sa prédécesseure. Comme toute saga de fantasy qui se respecte, la narration évolue dans un univers riche et dense dont les premiers épisodes doivent définir les contours. Désormais délestée de ce poids, l’intrigue peut enfin s’écarter des sentiers battus pour s’offrir le luxe de surprendre son audience.

C’est du moins ce que le public attendait, ce que les spectateurs espéraient pour cet œuvre qui ne manque pas d’intérêt. Une approche qui devait être le miroir de celle adoptée par l’écrivain américain concernant sa mythologie. C’est le cas à plusieurs égards. Loin des carcans visuels de la fantasy, La Roue du Temps continue de piocher dans les folklores du monde pour guider ses personnages dans leur course contre-la-montre. La première saison nous avait intrigué par la promesse d’un divertissement de grande envergure, convenu certes, mais néanmoins réjouissant. Cette suite s’inscrit dans la continuité avec cette impression, celle d’une épopée classique de bien des manières, qui peine parfois à s’extirper des schémas narratifs du genre. En résulte un effet de surprise amoindri, que ces nouveaux épisodes n’arrivent pas non plus à faire émerger.

Ce qui est tout autant dommageable, c’est la propension qu’a la série à enfermer ses personnages dans des figures archétypales, avec une direction d’acteur qui laisse de temps en temps à désirer. Le créateur Rafe Judkins avance à tâtons, ne faisait jamais le choix de la radicalité pour ces protagonistes qui mériteraient d’être plus nuancés ou plus francs. Les dialogues viennent souvent renforcer ce sentiment, à coup d’explication littérale de texte. La Roue du Temps tourne et écrase toute subtilité en matérialisant fréquemment les enjeux du récit et les questionnements de ses héros au travers de répliques insistantes. Pourtant, il y a certaines idées narratives plutôt intéressantes, comme lorsqu’un épisode s’attarde sur les coulisses de la Tour Blanche ou qu’il s’agit d’explorer plus amplement les relations qui unissent ces objets d’étude télévisuels. À trop vouloir imiter les productions qu’elle tente de remplacer, The Wheel of Time pourrait finir par s’enrayer.

Un univers riche

Il y a toutefois une chose que l’on ne peut pas reprocher à la série, c’est l’invitation au voyage qu’elle représente pour tous les amateurs du genre. Des costumes aux décors, La Roue du Temps ne se contente pas de mettre en scène une époque médiévale fantasmée en Europe. Elle matérialise avec beaucoup d’aisance les nombreuses ethnies qui peuple son imaginaire. Un travail soigné qui se ressent aussi du côté de la musique, qui entretient sa dimension hétéroclite tout au long du voyage. Reste que la saison 2 continue occasionnellement d’être empêchée par des effets numériques douteux. Si l’esthétique est le plus souvent soignée, que les créatures qui peuplent la série sont assez convaincantes, d’autres choix parasitent la copie de Prime Video.

Avec une enveloppe de cent millions de dollars pour sa première saison — sans compter les frais marketing — l’œuvre de Prime Video n’était pas indigne d’intérêt à son lancement. Cette deuxième saison ne l’est pas moins, elle a le bon goût de miser quand cela est possible sur des décors réels, de faire honneur aux paysages qu’elle encapsule. Dommage que sa réalisation reste aussi conventionnelle. On saluera en revanche sa prédisposition à ne pas faire dans la dentelle, piochant ici et là dans la “grimdark fantasy”. Cela pourrait néanmoins être vu par les aficionados comme une trahison de la volonté de l’auteur. C’était d’ailleurs un volet qui avait froissé l’auteur Brandon Sanderson, lui qui a complété la saga littéraire inachevée à la mort de Robert Jordan. Il invitait néanmoins les spectateurs à ne pas voir cette adaptation comme une retranscription fidèle du récit de Jordan, mais plutôt comme un nouveau tour de roue, comme l’histoire de la prochaine fois que ces héros devront vivre ces moments cruciaux. L’opération séduction de la série Prime Video ne suffira sans doute pas aux spectateurs les plus avertis.

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