Transformer X en super-application, l’ultime ambition d’Elon Musk — Siècle Digital
Voilà un an qu’Elon Musk détient Twitter, rebaptisé X cet été. Le milliardaire pilote la métamorphose de la plateforme, qu’il souhaite transformer en « application à tout faire » proposant …
Voilà un an qu’Elon Musk détient Twitter, rebaptisé X cet été. Le milliardaire pilote la métamorphose de la plateforme, qu’il souhaite transformer en « application à tout faire » proposant pléthore de services dans un seul et même endroit. De nombreux obstacles se dressent toutefois sur son chemin. Cette fois, il n’est pas certain que sa ténacité soit suffisante.
Une ambition de longue date
Lorsqu’il a lancé la banque en ligne X.com en 1999, son concept initial était de transformer le site web en un « magasin unique pour tous les besoins financiers, » écrit Walter Isaacson dans la biographie autorisée de l’homme d’affaires. La société a finalement été intégrée à PayPal, malgré les efforts vains de Musk pour faire primer X. Évincé de son poste de PDG, Twitter lui a offert une seconde chance.
Il faut dire que le sud-africain n’a jamais caché son admiration pour la plateforme chinoise WeChat, super-application la plus utilisée au monde. Un format qui se caractérise par « une plateforme tout-en-un, dont l’ensemble des services visent à répondre à la plupart des besoins quotidiens d’un utilisateur, » détaille Émilie Audubert, rédactrice et analyste de contenu pour Software Advice, filiale du cabinet Gartner.
Pour être considérée comme une super-application, une plateforme doit disposer de fonctionnalités spécifiques, « un réseau social, de l’e-commerce, des services financiers, de livraison de nourriture et de repas, les paiements de factures et également un service de mobilité, » continue-t-elle. Ce modèle est particulièrement développé en Chine, beaucoup moins aux États-Unis et il n’existe pas en Europe. Si Revolut s’en rapproche, elle ne peut pas être qualifiée comme tel.
Monétiser et fidéliser les utilisateurs
Musk veut être porteur du concept en Occident. Le changement de nom de Twitter est justement lié à sa vision pour la plateforme. Pour lui, le réseau social n’est que « l’accélérateur de X ». De nombreuses fonctionnalités déployées sur X.com au cours de l’année écoulée constituent déjà les prémices d’une super-application, à l’instar de la rémunération des utilisateurs, d’un outil de recherche d’emploi ou encore du streaming vidéo. Dès novembre 2022, Twitter a été inscrit auprès du Trésor américain en tant que processeur de paiements, témoignant des ambitions de Musk.
Pour l’homme d’affaires, transformer le réseau social en super-application octroie plusieurs avantages. D’une part, il pourra monétiser la plateforme pour rentabiliser son investissement de 44 milliards de dollars. Enfin, il fidélisera ses clients ; avec ce modèle, l’utilisateur se tourne moins vers la concurrence, car tout ce dont il a besoin se trouve dans une seule et même plateforme. Les services financiers en sont la clé de voûte.
« C’est pour cette raison qu’aux États-Unis, beaucoup de marques intègrent toujours des services financiers, » commente Nosing Doeuk, directeur d’unité chez le cabinet de conseil mc2i. Il prend l’exemple de Walmart, géant de la grande distribution, qui intègre des services d’épargne.
« Les super-applications centralisent énormément de données utilisateurs. De cette manière, elles peuvent offrir un degré de personnalisation, de recommandations, de suggestion de services particulièrement élevé, » complète Émilie Audubert.
Le chemin est encore très long
L’intérêt d’Elon Musk pour une telle stratégie paraît logique, X étant une plateforme qui n’a été rentable qu’à deux reprises dans son histoire. Pour le mettre en œuvre d’un point de vue réglementaire, son propriétaire va néanmoins devoir redoubler d’efforts. Son passif avec les régulateurs, américains ou européens, est déjà très lourd. Surtout, il lui faudra d’abord convaincre les autorités pour déployer des services financiers.
« D’une manière générale, le rôle des instances bancaires et des institutions financières est de garantir la confiance et la stabilité. On ne peut pas dire qu’Elon Musk a ce genre d’image, » argumente Nosing Doeuk. Les décideurs pourraient se montrer réticents à l’idée d’accorder leur confiance au milliardaire. Ceci est d’autant plus vrai en Europe, où le concept même des super-applications s’oppose à l’idée promue par le Digital Markets Act.
Le texte met en exergue la décentralisation des moyens de paiement, « qui est totalement à l’inverse du modèle de super-application, » indique Émilie Audubert. Le RGPD pourrait également entraver les efforts de Musk, car il impose la demande du consentement de l’utilisateur pour l’exploitation de ses données, et ce pour chaque finalité. Au sein d’une super-application, l’expérience pourrait être grandement limitée.
Est-il possible que la réputation et le comportement d’Elon Musk entravent sa propre réussite ? Oui, mais sa carrière d’homme d’affaires est à mettre à son crédit. Avec Tesla et SpaceX, il a su bousculer des marchés pourtant bien établis. Dans sa biographie plutôt généreuse, Walter Isaacson avance que chaque aventure entrepreneuriale d’Elon Musk est mue par une motivation allant au-delà de l’argent, par l’idée de préserver le futur de l’humanité. Un discours que, naturellement, Musk lui-même entretien. X, comme super-application, y participerait par sa vocation à préserver une certaine vision du « free speech », du rapprochement des gens en un lieu. Une vision qui est très loin de faire l’unanimité, au point de devenir l’échec le plus fracassant du milliardaire ?